Vivre à nouveau et réparer son processus de naissance

Le processus de naissance en Analyse Psycho-Organique

 Dans cet article, j’expose ce qu’est le
« processus thérapeutique de naissance » en Analyse Psycho-Organique.
Je définis les buts recherchés, les indications, et je donne des éléments de la façon dont il se déroule.

Le travail psychothérapeutique autour de la naissance est associé actuellement dans le monde de la psychothérapie, et aussi auprès du grand public, à celui de « Rebirth ».
Le « processus de naissance », tel que nous le concevons en Analyse Psycho-organique, non seulement n’a rien à voir avec cette méthode initiée aux Etats-Unis dans les années 70, mais il s’inscrit même dans une façon de faire et sur des fondements théoriques radicalement différents.

De quoi s’agit-il dans le rebirth?

La base du travail proposé dans cette technique est une hyper-ventilation thoracique qui produit une forte augmentation d’oxygène dans le sang. Cette hyper – oxygénation provoque d’ importantes modifications des échanges gazeux sanguins, avec, bien-sûr, des conséquences cérébrales, notamment au niveau du cervelet.
Les effets psychiques, et notamment les modifications des perceptions sensorielles, qu’entraînent ces perturbations sanguines sont utilisés afin que la personne puisse se rapprocher de ses conditions de naissance, revivre sa naissance, se libérer des expériences traumatiques supposées avoir eu lieu à ce moment-là, et amorcer ainsi un processus de guérison. Le postulat théorique est, en effet ici, la thèse d’un traumatisme de la naissance que nous aurions tous vécu.

En Analyse Psycho-organique, nous nous positionnons de façon radicalement différente, puisque nous nous situons toujours au plus près du fonctionnement physiologique, c’est-à-dire« normal », de l’être humain. Il n’y a donc pas du tout la recherche  d’une transformation des conditions physiologiques pour la personne qui revisite le moment de sa naissance, ou plutôt de l’ensemble de son processus de naissance, mais, au contraire, une approche la plus fine possible de son ressenti naturel durant ce processus.
C’est le fonctionnement normal de la personne humaine qui nous intéresse, et c’est lui que nous cherchons à contacter, de façon à permettre au thérapisant de vivre ce qu’il n’a pas pleinement vécu.
Je ne crois pas, par ailleurs, à l’hypothèse d’un traumatisme systématique majeur au moment de la naissance pour chacun de nous, comme l’a avancé, le premier, O. Rank.
Il m’est difficile de concevoir que le génie de l’évolution dont on voit partout les réalisations dans la perfection du corps humain comme des autres créatures vivantes, aurait laissé s’instaurer un trauma systématique au moment de l’entrée du petit humain dans sa vie extra-utérine. Je crois au contraire que l’être humain est parfaitement adapté, de façon naturelle, à ce qui lui arrive au moment de sa naissance, et notre objectif thérapeutique est précisément de dégager ce comportement naturel de ce qui a pu en entraver le plein épanouissement.

 

Paul Boyesen a d’emblée introduit le travail de processus de naissance comme ne concernant pas uniquement le moment du « passage » de la naissance proprement dite, mais plus globalement comme un processus continu qui va de la conception de l’enfant par ses parents jusqu’à l’accueil après la naissance.

La pleine advenue de ce processus est souvent entravée : grossesse difficile pour de multiples raisons, angoisse ou dépression de la maman, absence du papa, ambiance où l’enfant n’est pas désiré, pas attendu, accouchement programmé, circulaire du cordon, césarienne etc.
C’est le processus naturel de la naissance que nous cherchons à faire advenir et à réparer d’un point de vue thérapeutique, car c’est de cette naissance normale, la plus pleine, la plus accomplie possible dont nous étions tous en attente.
Nous constatons en effet que, lorsque le processus de naissance n’a pas pu se vivre de façon suffisamment complète, que le vécu intra-utérin et la naissance elle-même n’ont pas été suffisamment satisfaisants, assez nourrissants pour le bébé, cette situation laisse des manques, des privations, une carence qui peuvent continuer d’avoir des échos une fois ce bébé devenu un adulte.
Ce processus de naissance, tel que nous le concevons en Analyse Psycho-organique, a donc lieu au plus près de ce que nous pensons être un processus de naissance le plus accompli possible.
Ce travail peut être considéré comme typique de notre méthode thérapeutique.
Il s’ opère à partir de deux conceptions majeures en Analyse Psycho-organique : le travail à l’intérieur des situations et la notion, au nom inattendu, de conséquentiel.

L’importance des situations

Nous savons que ce sont des situations qui ont forgé notre vie. Ces sont des situations que nous vivons qui la forgent encore. C’est au cœur de situations que nous nous développons, c’est à l’intérieur de situations, avec leurs aléas, qu’advient notre identité. « L’inconscient est situationnel » dit Paul Boyesen (« Raconte-moi ta naissance » Paul Boyesen, 1992, p. 11) . L’inconscient est habité des restes de situations que nous avons vécues, mais aussi de celles que nous aurions aimé vivre et que nous n’avons pas vécues . C’est cet ensemble qui conditionne ce que nous vivons actuellement.
La globalité de notre processus de naissance est bien sûr une situation fondamentale pour chacun d’entre nous. Des choses se sont bien passées dans cette situation, d’autres peut-être pas. D’autres encore n’ont pas eu lieu alors que nous étions préparés (biologiquement) pour les vivre et en attente de les vivre.
C’est au cœur de situations que nous travaillons préférentiellement en Analyse Psycho – Organique. Nous cherchons à permettre au thérapisant de modifier ce qu’il reste actuellement du vécu de ces situations, lorsque ce vécu est trop douloureux, inhibant, insatisfaisant.
Si on ne peut changer les situations du passé, on peut cependant modifier le vécu que nous en avons et donc l’influence qu’elles ont encore sur nous. Le processus de naissance s’inscrit dans ce cadre.

Le conséquentiel

L’Analyse Psycho-Organique est une psychothérapie à processus. Cela signifie que nous faisons confiance au thérapisant pour actualiser, durant les séances et dans le transfert, les situations qui lui sont problématiques et qu’il souhaite résoudre.
Cette façon de faire confiance au thérapisant signifie que nous croyons en un noyau sain qui cherche à se réaliser le plus totalement possible. Cela s’inscrit pour nous dans un mouvement puissant que nous appelons le « conséquentiel ».
Voici une façon de l’illustrer et de le définir: un bébé à sa naissance attend de vivre un certain nombre de choses: de même qu’il est prêt pour la respiration atmosphérique, prêt pour téter le sein de sa mère et digérer son lait, pour réguler sa température corporelle par rapport à celle du monde dans lequel il arrive, de même il attend de décider du moment de sa naissance, de vivre la recherche du passage en fouissant de sa tête, de participer activement à sa sortie de l’utérus en poussant notamment de toute sa force sur l’intérieur du sacrum de sa mère, de sentir le passage lui-même, d’être accueilli, nourri, soutenu, reconnu, choyé et aimé.
Le besoin, inscrit en nous, de vivre ce qui nous permet de nous développer et de devenir le plus possible nous-mêmes, c’est cela le conséquentiel.

Le conséquentiel se trouve confronté à la réalité.
Je l’ai dit, le processus de naissance, par exemple, peut se trouver contré par un ensemble de phénomènes.
Le fœtus a-t-il la possibilité de vivre tranquillement son développement dans l’utérus ? Peut-il agir sa naissance ?

Une fois né, avec tout son potentiel, le bébé arrive dans un contexte, plus ou moins favorable à son épanouissement.
Est-il l’enfant attendu dont on s’occupera avec amour et qui trouvera d’emblée sa place ? N’est-il pas si attendu que cela ou même pas attendu du tout ? Est-il vécu comme une charge ?
Ses attentes ne seront alors peut-être pas si facilement satisfaites, voire pas satisfaites du tout. Les situations réelles permettent, en effet, une plus ou moins grande réalisation du conséquentiel.
Son accomplissement rencontre des obstacles : des empêchements concrets, matériels, dus à l’endroit, à la culture, à la période où l’on vit et qui ne rendent pas toujours possible la pleine réalisation de soi.
D’autres entraves sont issues de problématiques relationnelles : la névrose familiale, par exemple, assigne chacun à une certaine place, contraint la personne, limite sa liberté d’évolution.
Les difficultés produites par la structure familiale, les mouvements inconscients projetés sur la personne, les contrats de loyauté dans lesquels le thérapisant se sent pris consciemment ou inconsciemment sont des éléments sur lesquels le processus thérapeutique peut agir et libérer ainsi la réalisation du conséquentiel.

Il se trouve , en effet, que la part du conséquentiel qui n’a pas été vécue demeure toujours en attente de s’accomplir.
C’est normal, nous gardons constamment en nous le désir de nous réaliser de la façon la plus complète possible.
L’enfant qui n’a pas été suffisamment aimé, considéré, soutenu garde en lui-même, devenu adulte, ces attentes vivantes, plus ou moins enfouies. C’est cela qui motive fondamentalement le processus thérapeutique et fait qu’il fonctionne.
Tout au long de sa vie, l’être humain est confronté au conséquentiel. Tout être vivant, une plante, un arbre par exemple , cherche à se développer au mieux . Chacun peut observer comment un arbre dans la forêt ou dans la ville, cherche à s’enraciner le mieux possible, se tord ou grandit pour obtenir le maximum de lumière. Un arbre a une capacité d’adaptation afin de vivre et de se développer au maximum.
Durant toute son existence, la personne humaine cherche aussi constamment à se réaliser le plus possible, à développer ses talents, ses désirs, à satisfaire ses besoins, ses capacités, à incarner ce pour quoi elle a le sentiment d’être faite.

Le conséquentiel est le non-vécu qui attend d’être vécu.
Une autre façon encore de le définir est de dire que le conséquentiel est ce qui produit la grande souffrance que ressent l’individu lorsqu’il ne peut pas accomplir ce qu’il désire et qu’il veut réaliser. Cette douleur peut être très intense, elle résulte de l’incomplétude de la réalisation de sa propre subjectivité.

Le conséquentiel est comme une tête chercheuse, disposant de l’énergie de vie, qui s’ingénie à ce que l’être , dès que cela est possible, puisse se réaliser.
On comprend ainsi que dans le processus thérapeutique nous suivions le patient dans ce mouvement naturel de sa réalisation. Ce mouvement passe par la réparation d’un certain nombre d’étapes ou de situations de la vie du thérapisant qui ont inhibé, bloqué, rendu impossible cette réalisation.
Je parle ici de mouvement naturel car il me semble clair que nous savons inconsciemment ce qui nous a arrêté dans notre développement. Notre être entier sait ce qui lui a manqué. Nous connaissons les endroits qu’il nous faut revisiter, là où nous devons rejouer les choses, les situations où nous n’avons pas été suffisamment accompagnés, où des propositions de développement ne nous ont pas été faites et que nous souhaitons (il s’agit d’une connaissance essentiellement inconsciente) réparer ou développer pour une plus grande complétude de nous-même.

Le processus thérapeutique est mu fondamentalement par le besoin de la personne de repasser par différentes étapes et situations de son histoire. En reprenant ce qui s’est passé ou ce qui ne s’est pas passé pour elle à ces moments-là, la personne libère le cours de ce qu’elle attend, de ce qu’elle veut vivre et se reconnecte ainsi maintenant à des éléments de son évolution.
La situation thérapeutique permet parfois cela: des nœuds de blocage, de non-réalisation peuvent s’actualiser, être reconnus et remaniés dans le cadre de la relation thérapeutique, c’est ce qu’on appelle le transfert.
En Analyse Psycho-Organique, nous suivons donc le cheminement du thérapisant, sans leprécéder, sans savoir pour lui, sans savoir où il va aller, sans le mener là où nous souhaiterions qu’il aille et de la façon dont nous souhaiterions qu’il y aille: c’est la personne elle-même qui s’oriente inconsciemment vers ce dont elle a besoin.
Le travail thérapeutique du processus de naissance se fait le plus souvent en groupe. Il peut aussi avoir lieu, avec des aménagements, en thérapie individuelle.
Le groupe va constituer la matrice qui accueillera puis permettra au bébé de se développer. Dans ce groupe, des participants sont choisis par la personne qui va revivre un processus de naissance pour personnaliser sa mère, son père, quelqu’un qui l’aidera au moment de la naissance en offrant un appui aux pieds de ce fœtus, une autre encore sera amenée à gérer le passage proprement dit de la naissance.

Nous instaurons en fait, pour le thérapisant, la possibilité de vivre son processus de naissance tel qu’il aurait pu ou dû être. Dans ce travail thérapeutique, nous ne faisons que recréer les conditions qui permettent au corps et à la personne entière de se réparer, de réparer et de transformer ce qui a été mal vécu ou pas du tout vécu par elle.
C’est que, mis en situation, et tout l’art du travail thérapeutique est de réaliser une parfaite mise en situation, nous avons tous une grande capacité à régresser, de façon très juste (comme si nous n’attendions que cela, en fait), cherchant précisément et souvent inconsciemment à nous réparer, c’est-à-dire à pouvoir vivre ce que nous n’avons pas vécu:

  • se sentir «accompagné» durant cette gestation par exemple: sentir que dans la matrice, on est en contact avec une mère déjà attentive et aimante, et cela peut paraître curieux, mais en contact aussi avec la présence du père, avec le son de sa voix, avec sa présence effective et déjà très précise et spécifique.
  • avoir le temps de se développer dans la matrice, aller au bout de cette maturation.
  • avoir le temps de sentir son désir de naître (lorsque l’on est né par un accouchement «programmé» ou d’une maman angoissée, pressée, mal dans sa grossesse).
  • bien sentir sa force au moment de sa naissance.
  • bien sentir le passage de la naissance elle-même (cela est toujours profondément transformateur et réparateur pour ceux qui sont nés par césarienne et n’ont pu ressentir leur force et la délivrance de l’issue de ce passage).
  • vivre le bonheur du contact avec une mère aimante, attentionnée et très présente, entendre la voix et ressentir la présence d’un père accueillant, goûter le contact avec eux.

« Je suis née par césarienne, je n’ai pas réussi à naître toute seule »,  dit une participante. « Est-ce en rapport avec le fait que dans ma vie, les choses se sont présentées à moi, que je les ai prises au vol mais sans avoir l’initiative ? Mon mari m’a choisie, dans ma vie professionnelle j’ai accepté les postes que l’on m’a proposés. Je commence à me questionner sur mes renoncements. Comment aujourd’hui oser faire des choix, dire « je », décider ?
Après cette césarienne, j’ai passé la première nuit en couveuse. À quel moment et comment nous sommes nous retrouvées, rencontrées, ma mère et moi? »

Pour nous, le processus de naissance débute avant même la conception. Cela peut  sembler curieux, et peut-être même ésotérique, et pourtant, mis en situation, beaucoup d’entre nous ressentons parfaitement le moment où nous sommes en attente d’être conçus. Le oui à la conception est ce qui inscrit définitivement le flux de la vie en nous, le flux de cette force qui nous dépasse et dont nous sommes un maillon.
Cette acceptation ou ce désir d’être conçu est souvent un moment très fort du processus. L’incarnation est le moment de la rencontre avec la matière. Ici aussi un grand « oui » est nécessaire pour accepter de devenir cet œuf constitué à partir de cet ovule et de ce spermatozoïde, avec leurs potentiels, avec leurs histoires.
C’est le plaisir d’intégrer un corps physique mais c’est aussi la dépendance à la réalité, réalité de ce corps-là, de cet utérus-là. Une réalité où d’emblée on doit faire avec l’autre. Lorsque la personne dit « oui » à l’incarnation, elle se tourne en position fœtale sur le côté gauche et commence alors le travail de la matrice.

Après la conception et l’incarnation, vient le temps de la gestation proprement dite , ce que nous appelons le « mouvement » : mouvement des cellules qui se multiplient et se développent, mouvement aussi du fœtus dans la matrice maternelle.

Le groupe est là, extrêmement vigilant , soudé dans la perception de ce qui a lieu, les participants très « ouverts » pourrait-on dire, c’est-à-dire très disponibles à ce qui se passe pour le fœtus, très attentifs aussi à leurs propres perceptions et sensations.
Les membres du groupe, aidés du thérapeute, sont totalement présents, ancrés en eux-mêmes, à l’écoute de l’opportunité d’éventuelles interventions, de ce qui peut être fait, peut être dit, pour permettre l’éclosion la plus simple, la plus juste, la plus belle de ce bébé.

Que se passe-t-il pour ce fœtus ? C’est le moment où l’on peut ressentir la paix de ce qui se passe là, la vie tranquillement nécessaire, dans l’attention, l’adéquation de la matrice. Cela peut être un moment d’intense repos, d’abandon à la vie qui opère en soi. C’est le temps de l’éclosion progressive des sensations, des premières explorations, des proto-formes des représentations de soi aussi peut-être. C’est généralement un temps d’intenses émotions , de grands mouvements parfois, d’un fœtus qui semble explorer ou chercher son espace, et que la matrice accompagne. Le « mouvement » est le moment du développement et de l’éclosion.

J’étais en repos. Je me sentais complètement avec moi – même, n’ayant rien à faire, rien envie de faire, juste sentir la vie en moi dans ce milieu protégé, dans une durée dont je n’avais aucune idée, juste me sentir exister moi – même, un peu comme avant de m’endormir mais sans du tout la présence du sommeil, exister dans mon corps, et dans mes sensations, comme si le corps et l’esprit étaient confondus.

C’était un grand plaisir, comme d’être arrivé quelque part et de s’y sentir totalement bien.

Je me souviens très consciemment de ce moment où mon corps s’est à la fois éloigné du passage et en même temps a pris son élan, ultime instant d’hésitation, suspendu entre deux mondes. LE moment, où tout pouvait arriver.

Ce que j’ai ressenti: des mains posées sur le bas de mon dos, comme si tous les membres de la matrice s’étaient regroupés là, et un formidable élan – non pas comme s’ils m’avaient poussée vraiment, mais comme si j’avais trouvé l’appui qu’il me manquait. Et un passage à la fois dense et fluide. Et une paix profonde, immédiate.